Le temps est caché dans les plis d'une fleur

2021

Ces romans, je comprenais qu’ils deviendraient pour moi chambres, fenêtres, routes, ciels, vagues, qu’ils me donneraient de la lumière pour longtemps, et même si je venais un jour à les abandonner, je savais qu’ils resteraient dans mes yeux, à demeure. Je sais que je reviendrais vers eux. J’entends sa voix, depuis la terrasse des Roches-Noires, je joue à me pencher du parapet vers le sable. Elle s’adresse à moi, à vous, à nous. « Je vous ai dit qu’il fallait écrire sans correction, pas forcément vite, à toute allure, non, mais selon soi et selon le moment qu’on traverse, soi, à ce moment-là, jeter l’écriture au dehors, la maltraiter presque, oui, la maltraiter, ne rien enlever de sa masse inutile, rien, la laisser entière avec le reste, ne rien assagir, ni vitesse ni lenteur, laisser tout dans l’état de l’apparition. »
Colette Fellous, 2021

La Normandie se trouve être un territoire d’écriture pour nombre d’écrivains dont la lecture des ouvrages furent pour moi fondatrices… Flaubert fut le premier et le plus décisif puis Sagan, Duras et plus tard Proust… Je me revois, lisant en levant la tête, non par désintérêt mais par afflux d’idées, d’associations, de réactions, de mises en rapports… Marielle Macé dit : « On ne quitte pas la vie en lisant, mais ce qui se passe dans la lecture a, au moins en droit, un avenir dans cette vie ;
on prépare des pensées, des souvenirs, des façons de dire et de se rapporter aux autres, on augmente ses capacités d’attention et ses manières de voir, on module son propre accès au monde, on essaie d’autres liens, d’autres manières ». Je revois les murs de livres qui cernaient mon lit où je passais le plus clair (ou le plus obscur) de mon temps, adolescente, indolente dans la chaleur estivale. J’étais comme captive des mots. Je confondais les mots et les choses. C’est ainsi qu’a commencé ma grande aventure de l’expérience de la littérature par le regard.
Aussi sur ce territoire normand, suis-je retourné sur le lieu même de ces premiers émois littéraires, mêlant ces souvenirs de lecture, faisant revivre l’enfant que j’étais, à distance du monde, mais aussi celui, toujours à l’écart, perdu dans sa vision, de L’été 80. Dans ce livre Marguerite Duras fait l’épreuve d’un double regard, l’actualité qu’elle commente depuis l’appartement 105 des Roches-Noires dans le journal Libération et cet enfant au pull rouge, en retrait, qu’elle observe.
C’est donc parler de la Normandie comme un lieu d’écriture, tracer une ligne qui relie des livres entre eux, des moments de vie qui n’ont pas grand chose en commun si ce n’est un territoire et le fait qu’ils constituent pour moi un réel éveil au monde tant littéraire que politique. Cet ensemble d’images traversé par l’actualité, interroge le retour de cette mémoire dans le présent, l’histoire qui se rejoue, tout en montrant l’endroit où, pour ces auteurs, l’écriture a éclôt.
Depuis leur découverte, je n’ai eu de cesse de me placer dans cette nécessité de fabriquer des images qui restituent l’évidence d’un texte. Aussi dans ce paysage, si doux en sa mélancolie, persiste pour moi, comme attaché aux lieux mêmes et aux choses, le vivant souvenir des lectures de tous ces romans que j’ai abandonné depuis si longtemps.