Vols qualifiés
1970-1972
Alain Bizos, pour un art activiste.
« ....voler est banal et ce n’est pas l’assignation d’un caractère esthétique à ce sujet qui lui donnera un intérêt nouveau .Ce que met en lumière Bizos : qui vole une pomme vole un sens auquel il attache toute réflexion et toute action artistique. L’information sur son activité est donnée par des séries de photos, ou par films, quand les conditions du vol le permettent, ou alors par simple représentation du corps du délit accompagné d’une fiche explicative ( lieu, date ) Chaque pièce exposée porte la mention : « toute personne détentrice
de cette œuvre est considérée comme receleur aux yeux de la loi. » Cette provocation requiert un sens précis, elle risque, sinon d’être facilement récu- pérable...mais c’est par rapport à la critique des fondements mêmes du geste artistique qu’il en est venu à cette pratique « activiste ». Ce qui fixe à l’objet son caractère irrécupérable est sa nature délictueuse : quiconque participe du fait, « artistique » est, qu’il le veuille ou non, impliqué par le délit lui-même. Le propriétaire de la galerie, les collectionneurs ( recel direct ), journalistes, spec- tateurs ( complicité tacite ). Ce n’est pas le produit qu’il remet en cause, mais l’artiste lui-même. Travaillant aux états unis, il en vient plus qu’ailleurs encore, à se heurter aux évidences flagrantes : le mur principal est l’argent, moteur de la séparation , qui nous impose cette réalité que nulle forme d’art ne peut être innocente, nulle action réfléchie ne peut esquiver une problématique précise, qui stoppe la poursuite d’un art délectation ; il faut nous mettre au travail , et le seul travail sérieux dans cette optique est celui d’une subversion qui se doit, pour être totale, de tourner autour de l’axe pratique/théorique, sans perdre le lien dialectique qui les fera progresser . En prenant en compte ses contradic- tions socio-économiques et idéologiques, l’artiste devient par le fait, activiste. Nouvelle parole qui se veut, d’emblée coupable, car il n’est pas plus innocent de peindre, de photographier, que de voler. La porte du musée est le miroir de la rue. La rue devient le lieu valide de toute information. Dérision de toutes les valeurs qui prétendaient, de l ‘extérieur, fixer les lois à cette parole. L’artiste s’évanouit en tant que tel, seule importe la parole qui dénoncera le discours à pulvériser, celui de la marchandise. Bizos apporte une dimension décisive, si l’on prend au sérieux son rôle : celui du Rire, rire décapant qui, toujours armé de son langage subversif, à partir du moment où nous refusons de décorer la misère. L’ humour est la promesse de dérision de tout discours ce voulant, à son tour, souverain et dominant. »
Claude Poizot in Artitude, mai 1972